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Redécouvrir le voyage en Amérique de Chateaubriand

Sophie Landrieux | États-Unis


Si Chateaubriand est incontestablement reconnu comme un génie de la littérature et le père du courant romantique, on ignore souvent qu’en plus d’avoir été un homme politique et diplomate, il a été un grand voyageur. Outre l’Amérique, Chateaubriand aura visité et/ou

vécu en Italie, Angleterre, Suisse, Belgique, Allemagne et Espagne et effectué un voyage en

Orient qui le conduira notamment à Athènes, Constantinople, Jérusalem, Le Caire,

Alexandrie et Tunis . . .


Son voyage en Amérique entrepris alors qu’il n’avait que 22 ans fut déterminant pour son œuvre littéraire et aura également une influence considérable en Europe tout au long du XIXe siècle afin de modeler la connaissance de l’Amérique, ce Nouveau Monde. On dit ainsi que Chateaubriand a été « l’inventeur de l’Amérique ». Qu’en est-il de son voyage ?




Aperçu du Voyage en Amérique de Chateaubriand 


Il convient de distinguer le voyage en Amérique lui-même de l’ouvrage éponyme. C’est

d’abord un voyage qu’il a effectué en 1791, mais aussi une œuvre littéraire publiée en 1827

qui tient à la fois du récit et de l’essai. L’ouvrage comprend une description personnelle du

voyage de Chateaubriand, mais est précédée d’une longue préface sur le thème des voyages,

suivie du récit plutôt court du voyage lui-même et ensuite de longs développements sur

l’histoire naturelle de l’Amérique du Nord, les mœurs des Indiens et le régime politique

américain. L’ensemble est assez hétéroclite, y compris d’un point de vue stylistique. Si la

lecture du Voyage en Amérique peut décontenancer le lecteur contemporain, les

interrogations sur le voyage lui-même sont fascinantes et dessinent une personnalité hors du commun à l’imagination débordante.


Les zones d’ombre


Il demeure beaucoup de zones d’ombre relatives au voyage de Chateaubriand, à commencer par ses motivations et son itinéraire. Pourquoi Chateaubriand est-il parti en Amérique ?


Différentes explications sont généralement apportées qui mettent en avant le goût de

l’aventure du futur écrivain qui, né à Saint-Malo, a une enfance nourrie par les destins de

corsaires et d’explorateurs. Il s’est donc sans doute embarqué par curiosité pour voir par lui-même le Nouveau Monde et ses « sauvages » et pour en poursuivre l’exploration en

découvrant le mythique passage Nord-Ouest. La volonté de quitter la France alors que la

Révolution y fait rage constitue également une forte motivation.


Concernant son itinéraire, où est-il vraiment allé ? Les chercheurs s’accordent sur l’itinéraire suivant : parti de Saint-Malo, et après deux escales, Chateaubriand a débarqué à Baltimore. Il s’est ensuite rendu à Philadelphie, New York, New Haven, Hartford, Boston et Lexington. Il aurait remonté la rivière Hudson jusqu’à Albany. Il serait ensuite allé jusqu’aux chutes du Niagara en passant par le Lac Onondaga et la ville de Buffalo. Concernant le reste du voyage, le mystère s’épaissit, en dépit de plusieurs études chronologiques. On distingue un itinéraire probable d’un autre improbable.


Chateaubriand serait peut-être allé jusqu’aux rives de l’Ohio et à Pittsburgh. Mais après ? Les chercheurs dessinent un itinéraire improbable dans l’Ouest, en direction du Sud. Il demeure néanmoins impossible qu’il soit allé jusqu’au fleuve Mississipi et a fortiori en Louisiane.


Chateaubriand et la Louisiane, le rêve perdu de l’Amérique française


S’il subsiste des doutes sur l’itinéraire de Chateaubriand, les experts s’entendent donc sur le fait qu’il ne s’est pas rendu en Louisiane, compte tenu de la durée de son voyage, seulement cinq mois. Impensable, non ? Les dires de Chateaubriand ont d’ailleurs varié d’un livre à un autre et le récit de son voyage publié plus de trente ans après s’appuie sur des ouvrages de géographes et d’historiens, en plus de ses notes personnelles.


Comment expliquer l’admiration sans bornes de Chateaubriand pour la Louisiane alors qu’il n’y serait pas allé ? Pourquoi a-t-il précisément choisi la Louisiane et d’autres régions qu’il n’a pas parcourues comme théâtre de ses romans les plus célèbres ? Ce choix paradoxal a posé très tôt la question de la véracité des ouvrages américains de Chateaubriand, mais n’enlève rien à son talent et son imagination.


Sur les pas de Chateaubriand en Amérique aujourd’hui


Le roman L’invitation américaine utilise pour trame le voyage en Amérique de

Chateaubriand. Ce dernier devient un prétexte pour redécouvrir les lieux que l’écrivain a

visités et présenter en parallèle des extraits de l’ouvrage de Chateaubriand et une description contemporaine de ces villes. L’héroïne Marianne est une universitaire française passionnée par Chateaubriand qui poursuit des recherches sur son œuvre.


En retraçant les pas de Chateaubriand, le roman s’interroge sur les traces du passé dans

l’Amérique d’aujourd’hui et notamment en Louisiane. L’extrait suivant de L’invitation

américaine montre ainsi le désarroi de l’héroïne lors de sa visite de la Nouvelle-Orléans :


 

Faire vibrer la corde française. Marianne débuterait par une citation de Chateaubriand

du célèbre prologue d’Atala : « La France possédait autrefois, dans l'Amérique

septentrionale, un vaste empire qui s'étendait depuis le Labrador jusqu'aux Florides, et

depuis les rivages de l'Atlantique jusqu'aux lacs les plus reculés du haut Canada. Quatre

grands fleuves, ayant leurs sources dans les mêmes montagnes, divisaient ces régions

immenses : le fleuve Saint-Laurent qui se perd à l'est dans le golfe de son nom, la rivière de

l'Ouest qui porte ses eaux à des mers inconnues, le fleuve Bourbon qui se précipite du midi

au nord dans la baie d'Hudson, et le Meschacebé, qui tombe du nord au midi dans le golfe du Mexique. Ce dernier fleuve, dans un cours de plus de mille lieues, arrose une délicieuse

contrée que les habitants des Etats-Unis appellent le nouvel Eden, et à laquelle les Français

ont laissé le doux nom de Louisiane ». L’Amérique française, le thème idéal pour sa dernière

conférence, idéal aussi pour sa première venue en Louisiane, sa découverte de la Nouvelle-

Orléans et du Meschacebé, ancien nom du Mississippi.


Il ne restait cependant pas grand-chose de l’Amérique française, des souvenirs

nostalgiques tout au plus. Marianne allait en faire l’amer constat en visitant la Nouvelle-

Orléans. Quel désenchantement ! Qui parlait encore français ? Chateaubriand, visionnaire, avait bien eu raison de déplorer la fin de l’Amérique française. Certes, la Nouvelle-Orléans

porte bien un nom français, s’enorgueillit de son Quartier français et de ses innombrables

rues aux sonorités gauloises – Bienville Street, Toulouse Street, Chartres Street, Dauphine

Street, la dévoyée Bourbon Street, et j’en passe -, de sa cathédrale Saint-Louis, et de son

couvent des Ursulines. Dans les vieux cimetières, les pierres tombales et caveaux

monumentaux gardent le souvenir de ces nombreux compatriotes ayant succombé à l’appel

du Nouveau Monde.


Il reste encore la cuisine de la Nouvelle-Orléans. On y dégustera effectivement des

beignets et du café au lait, et une cuisine créole épicée, inspirée, métissée. Mais la France

n’est plus, la France a abandonné la Louisiane en 1803. Deux siècles ont suffi à effacer cet

héritage, un héritage qu’on célèbre de nouveau aujourd’hui, une langue qu’on tente de se

réapproprier à force de programmes bilingues, mais un héritage qui est perdu ou presque. Il faut quitter la Nouvelle-Orléans, s’enfoncer dans le pays cadien pour en retrouver quelques traces. L’Amérique française s’est réduite comme peau de chagrin (...).


 

Extrait du chapitre 21 de L’invitation américaine de Sophie Landrieux


Ce roman se veut une invitation à redécouvrir l’œuvre de Chateaubriand et à préserver

l’enseignement du français et de la littérature. Quelle est l’influence française en Amérique

aujourd’hui ? Que reste-t-il à présent de la Louisiane française ?


Le roman L’invitation américaine de Sophie Landrieux est disponible sur Amazon.com.


 


D’origine française, Sophie Landrieux (pour les plus courageux : Sophie Landrieux-

Kartochian) habite depuis plus de dix années aux États-Unis et se passionne pour les

différences culturelles entre ces deux pays. Cette expérience en tant qu’expatriée lui a inspiré l’essai Chroniques de l’Amérique au quotidien. Universitaire, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture. L’invitation américaine est son premier roman.


 

Pour en savoir plus sur Chateaubriand et son voyage en Amérique :


Lebègue Raymond, « Le Problème du voyage de Chateaubriand en Amérique », Journal des

savants, 1965, n°1, p. 456-465.


Petit Jacques-Guy, « Amérique française de Chateaubriand : voyage et littérature »,

Encyclopédie du Patrimoine culturel de l’Amérique française,


Le site de la Bibliothèque Nationale de France : https://gallica.bnf.fr/essentiels/chateaubriand


Le site de la maison de Chateaubriand : http://vallee-aux-loups.hauts-de-seine.fr/


Le site de la Société Chateaubriand : https://www.societe-chateaubriand.fr/


Le site du château de Combourg : https://www.chateau-combourg.com/

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