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Franco-chic : l'époque de l'hipster louisianais

Dernière mise à jour : 18 juin 2019

Bennett Boyd Anderson III | Lafayette, Louisiane Asteur, pour la première fois depuis la Guerre des Confédérés*, le français est cool. La ville de Lafayette est, sans doute, le berceau et l’épicentre de ce phénomène ; le franco-chic est partout, et même les Américains sont infectés. Visitez un magasin de t-shirts et vous allez voir un tas de français et de franglais : « Mais là ! » « Lâche pas ! » « If you don’t have something nice to say, dis-le en français ! » et d’autres expressions de la sorte. Près de ma ville, Broussard, il y a une affiche à côté du gros chemin qui se lit : « Don’t boo-day**, eat boudin ! » Le slogan de Bayou Têche Brewing est « Ça va mieux avec des amis ». Le français est plus visible que jamais, et non seulement chez les francophones, mais dans la société en général. Bref, il devient de plus en plus mainstream.


Qu’est-ce que cela signifie ? Le changement est subtil mais important, parce qu’il souligne à nouveau la mentalité des jeunes francophones et francophiles du sud de la Louisiane. Les francophiles ont plus d’influence que les francophones à cet égard parce qu’ils contrôlent plus de ressources que nous-autres. Leur présence est encourageante : chaque francophile est un francophone potentiel, ou au moins un Louisianais qui ne protestera pas le retour du français dans l’espace public. Mais en Louisiane, la fusion de notre culture créole avec l’agrandissement de l’hipsterdom à l’international a créé une espèce unique, un type d’individu que j’étiquette désormais comme le franco-hipster.


Personnellement, j’suis ni hipster ni bobo ; mes amis vous diraient que je ne suis pas assez cool pour m’identifier à ces étiquettes-là. Il faut cultiver une certaine esthétique que je n’ai pas encore (et que je n’aurai jamais) atteinte. Mais il existe de nombreux éléments de l’hipsterdom dans la communauté francophone de la Louisiane, notamment à Lafayette (et aussi en Ville). Ce lien, qui date de 2015, discute de la présence nouvelle des hipsters cadiens et comment elle mélange une conception traditionnelle de la cadiennité avec l’idée de modernité—deux choses qui, historiquement, ne sont que rarement présentées en tandem. Plus souvent, les Cadiens sont présentés comme un peuple désespérément passéiste. (Dans l’esprit populaire, cela fait partie de leur charme.) Les francophones de la Ville sont aussi cool, mais ça c’est plus normal ; ils viennent de la Nouvelle-Orléans qui a toujours été chic. Pour Lafayette et l’Acadiane, par contre, c’est un développement plus récent.


Comment cela s’est-il passé ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord en analyser une autre : qui fait partie de la nouvelle génération de Franco-Louisianais ? Si on regarde les jeunes franco-louisianais les plus influents de la communauté, on y voit quelques qualités constantes. Ils restent largement en Ville ou dans l’Acadiane. Normalement ils sont francophones OU d’origine française (pour qu’ils puissent toujours s’identifier avec l’histoire franco-créole de la Louisiane), ou les deux. Ce sont des étudiants, des enseignants, des artistes, des écrivains, des musiciens, des entrepreneurs et des activistes. Ils écoutent Sweet Crude ou The Lost Bayou Ramblers et peut-être d’autres chanteurs canadiens ou français-de-France. Ils possèdent du linge de Parish Ink, de Dirty Coast ou de l’un des grands festivals de Lafayette ou de la Nouvelle-Orléans (comme le Festival International de Lafayette). Beaucoup ont visité la France ou la Belgique—ou l’Acadie, où ils ont peut-être appris un peu le français à l’Université Ste-Anne—et connaissent des Européens ou des Canadiens avec lesquels ils parlent français et se plaignent de Donald Trump. Certains restent ou étudient en France. Ils suivent Le Monde ou Le Devoir sur Facebook. (Ils DEVRAIENT suivre Le Bourdon de la Louisiane.) Peut-être qu’ils lisent des romans ou des bandes dessinées en français. Souvent ils se sont impliqués dans leurs communautés pour préserver et restaurer la langue française. Peut-être qu’ils fréquentent des tables françaises (ou sont membres de la Cajun French Virtual Table), peut-être pas. Ils connaissent et soutiennent probablement des initiatives comme Télé-Louisiane et Charrer-Veiller. Ils ont un avis, souvent très fort, sur le CODOFIL. Et ils recherchent la compagnie d’autres Franco-Louisianais dans leur ville ou région, même s’ils restent hors de la Louisiane.


Il existe donc une disparité signifiante entre les franco-hipsters de cette jeune génération et les locuteurs natifs des années 1940 et 1950, qui sont principalement âgés, ruraux et conservateurs. Par contre, les jeunes francophones de nos jours sont souvent très instruits ; presque toujours, ils ont appris le français standard à l’école et le français louisianais à la maison ou avec l’aide de l’Internet. Ils parlent (ou au moins comprennent) un mélange de dialectes. Souvent, mais pas toujours, ils favorisent la gauche et le Parti Démocrate. (C’est partiellement pour cela qu’ils sont accusés d’être élitistes par certains, car la Louisiane est en grosse partie conservatrice. Le CODOFIL fait face aux mêmes accusations depuis longtemps.)


On peut attribuer cette disparité partiellement au retour du francophone urbain qui n’existe pas en Louisiane depuis le déclin du français en Ville il y a cent ans. Mais pour reconnaître la plus grande distinction, à mon avis, il faut souligner que les jeunes locuteurs de nos jours ont fait un choix conscient de devenir francophones. En Louisiane, presque tous les francophones de moins de 50 ans l’ont choisi, et pour cette raison, la plupart des jeunes Franco-Louisianais le considèrent une partie intégrale de leur identité culturelle. Comment pourraient-ils pas ? Ils ont investi d’innombrables heures en poursuivant la maîtrise d’une langue que beaucoup considèrent comme dépassée depuis longtemps. Et cela met en relief un aspect vital de leur caractère collectif : ils sont non-conformistes, du monde attaché à ce qu’ils considèrent comme important et qui n’ont pas peur de faire partie d’une communauté minoritaire. Donc il n’est pas étonnant qu’il y ait là un élément de l’hipsterdom, et cela correspond aux tendances similaires à travers le pays et le monde entier : une insistance sur ce qui est local et régional au détriment d’une culture nationale collective. Le même phénomène existe en Irlande, en Bretagne, à Hawaï. C’est à la fois un geste de solidarité et d’individualisme.


Mais je voudrais retourner au sujet des francophiles que je mentionne ci-dessus. Comment peut-on capitaliser sur cette vague de franco-chic pour promouvoir la cause ? La politique n’est pas chic, sauf lorsqu’on prétend de s’y engager « ironiquement. » (Ils aiment bien leur ironie, ces hipsters.) Grâce (aussi ironiquement) en partie à l’influence américaine, l’image du français a changé en Louisiane. Ce n’est plus seulement une langue de la basse-classe, mais aussi une langue de culture et de sophistication, comme dans d’autres régions des É-U. Je crois personnellement que l’anglais sera toujours la langue du commerce ; le français, par contre, occupe une position privilégiée en ce qui concerne la culture historique et actuelle de la Louisiane. (On voit ce phénomène dans d’autres pays bilingues en Afrique ou en Asie, où l’anglais est de plus en plus important dans le monde du commerce mais le français possède un cachet sociétal que l’anglais n'a pas.) Ce qui nous avantage dans ce cas particulier, c’est que la Louisiane est plus connue pour sa culture que pour son économie. Quand on mentionne la Louisiane, à quoi est-ce qu’on pense ? À la nourriture. À la musique. Aux Cadiens. À la Nouvelle-Orléans. À l’histoire. Autrement dit, on pense à sa culture. C’est notre ressource la plus importante, et elle est fortement liée au français. Il faut augmenter ces connexions préétablies pour rendre clair aux non-francophones que le français est intégral à la survivance de notre culture. Sans la langue française, on n’est plus cadien, créole, français ni franco-louisianais. On n’est que des Américains qui mangent des écrevisses.


La modification de la culture franco-louisianaise est en cours. Qu’elle soit voulue ou non, la perception de notre culture est après changer, et ce processus continuera sans cesse. On peut essayer de le contrôler, de le diriger, ou on peut le laisser aller où il veut. Pourquoi cela est-il important ? Parce que notre culture est traditionnellement présentée comme si elle était gelée dans le passé. Un Cadien, c’est qui ? C’est une personne d’origine française, catholique, avec un nom comme Boudreaux ou Thibodeaux, qui reste au ras du bayou et qui pêche ou chasse pour gagner sa vie. Par extension, on est souvent considéré comme “moins” cadien si on est athée, végétarien, si on a un nom américain, si on ne peut pas (ou ne veut pas) faire la chasse, si on reste hors de l’Acadiane, et cetera. Il n’est pas sain que notre conception de la cadiennité soit si concrètement définie ; en fait, c’est emblématique d’une culture en perte de vitesse, qui existe plus fortement dans le passé que dans l’avenir. Nous ne sommes pas des caricatures, mais des êtres humains qui possédons des intérêts divers et, parfois, conflictuels.


En ce sens-là, je vois la présence nouvelle du franco-hipster comme un développement positif, car il souligne que ce processus n’est pas achevé et que la culture franco-louisianaise est toujours vivante. Oui, nos plats, festivals et chansons traditionnelles possèdent une valeur énorme. (Je répète : une valeur énorme.) Mais nous sommes après changer, et il faut que notre culture évolue avec nous. Est-ce que cela contribue à la commercialisation de la culture franco-louisianaise ? C’est possible. Mais cette fois, c’est nous-autres, les Franco-Louisianais, qui aurons la force de le contrôler. Et ça c’est un changement encourageant. Ces jeunes franco-hipsters reconnaissent que les Frères Balfa ne sont pas plus importants que Sweet Crude. Old Tyme est Pop’s*** ne sont pas en compétition ; ils sont complémentaires. Les Cadiens peuvent être urbains, cosmopolites, même chics, s’ils le choisissent.


Le monde louisianais s’agrandit de plus en plus. On n’est plus un peuple isolé, caché des yeux du monde extérieur en vivant inconnu dans nos bayous et nos marais. On est connu, même célèbre parmi certains. Chaque restaurant d’ici à Singapour a un plat de “Cajun Pasta” ou de “Cajun Chicken” ou de quelque chose d’également ridicule. Et maintenant que nous sommes plus visibles qu’auparavant, la question reste : Que va-t-on faire asteur ?


 

*La guerre de Sécession ou la guerre civile américaine en français standard.

**boo-day = bouder. C’est un mot qui a survécu à l’anglicisation de la Louisiane et qui est utilisé (ou est au moins reconnu) par non seulement les francophones mais aussi la plupart des anglophones de l’Acadiane. Ce genre de chose est monnaie courante en Louisiane parce que les francophones natifs sont presque tous analphabètes en français et se sentent obligés d’écrire le français selon la phonétique anglaise.


***Old Tyme Po-Boys et Pop’s Po-boys sont deux restaurants lafayettois qui sont souvent présentés en tandem pour faire un contraste entre le « Vieux » Lafayette et le « Nouveau » Lafayette. Old Time ne sert que des po-boys faits selon des recettes traditionnelles ; Pop’s expérimente avec des nouvelles recettes, y compris quelques influences non créoles, non louisianaises et même non occidentales.


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