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Attention : On ne peut pas parler français sous l'eau

Bennett Boyd Anderson III | Oxford, Angleterre


J’ai récemment déménagé en Grande-Bretagne, où j’ai observé en septembre ma première Marche pour le climat dans le square Radcliff. Je n’ai pas participé ; en fait, j’ai été plutôt dérangé par le bruit. Mais cette émotion douce et momentanée n’est rien comparée à mon immense frustration envers la fière inaction continue des Louisianais face au réchauffement climatique. 


Je vais droit au but, et je l’écris en noir et blanc : Si on ne résout pas ce problème, le déclin de la langue française en Louisiane deviendra un non-problème, car il n’y aura plus une Louisiane dans laquelle le français pourra être sauvé. Ce sentiment n’est pas populaire dans un État où le pétrole et le gaz règnent en maître, mais je me sens néanmoins poussé à l’écrire parce que je préfère agir asteur que le regretter plus tard. 


La phrase « justice environnementale » est un objet de discussion de plus en plus populaire. C’est quoi ça ? En bref, c’est l’application des théories de la justice sociale au champ de l’environnement et de l’écologie. (Un exemple : La Louisiane et le Mississippi sont parmi les plus pauvres des cinquante États des É-U, mais ils sont aussi les plus touchés par les conséquences de la pollution des 32 (!) États plus riches [et aussi de deux provinces canadiennes] situés dans la zone de drainage du fleuve Meschacébé. Le Montana, le Minnesota, l’Illinois, etc. ne souffrent pas des conséquences de leur pollution, qui coule en aval ; c’est la Louisiane qui le fait. Est-ce juste ? La Louisiane devrait-elle être récompensée ? Par qui ? Voilà un scénario typique.) Les questions de justice environnementale sont souvent considérées à travers un prisme racial, à la mode américaine habituelle, mais si on considère le problème d’un point de vue ethno-linguistique, il est aussi évident que les Louisianais francophones et créolophones seront touchés de manière disproportionnée par le réchauffement climatique. 


En Louisiane, où restent les francophones ? La grande majorité restent dans l’Acadiane ou à la Nouvelle-Orléans. Dans le sud. Au pays du bayou. Près de la mer. 


Les paroisses Lafourche, Vermilion et Ibérie, qui sont tous parmi les paroisses les plus francophones de l’État avec des populations francophones de 8 à 18%, seront parmi les premiers endroits désavantagés par le réchauffement climatique non seulement en Louisiane mais aux États-Unis dans son ensemble. Déjà les habitants de l’isle à Jean Charles sont pressés à quitter leur terre ancestrale. Ils sont les premiers réfugiés climatiques des États-Unis, ils sont dans notre arrière-cour, et nous n’en discutons pas parce que nous nous en fichons. 


L’isle à Jean Charles est situé dans la paroisse Terrebonne. En 2010, environ 8% de la population de cette paroisse parlait français. Je ne peux pas lire les étoiles, mais les présages me semblent très clairs : si l’État de la Louisiane est le ground zero pour cette crise climatique, la Louisiane francophone est son premier rempart. 


Les Créoles et la culture franco-louisianaise sont liés à leur patrie d’une manière remarquable. À plusieurs reprises j’ai remarqué (non pas sans regret) qu’il n’y pas de nourriture créole en Angleterre. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de Créoles. Il existe peu de Franco-Louisianais hors de l’État parce que les Franco-Louisianais, surtout les locuteurs natifs, ne quittent que rarement la Louisiane. Souvent ils n’ont ni les moyens ni le désir de la quitter. La culture louisianaise ne pourra pas être déracinée et transplantée ailleurs (s’il y aura, en fait, un « ailleurs »). 


Bien sûr, il y aurait aussi beaucoup de Louisianais, y compris des francophones, qui seraient touchées si le Big Oil devait s’encombrer de lois et de réglementations. Ceci présente un problème légitime, surtout car la Louisiane est un État pauvre où l’éducation est à la fois chère et pas particulièrement bonne comparée à celle des autres États, et notre économie n’est pas aussi diversifiée que les leurs. Mais si le pétrole nous a rendus riches, il nous a également rendu dépendants. Ne serait-il pas bon pour l’État de ne pas s’effondrer à chaque montée et descente de l’industrie pétrolière ? Si (et par conséquence) on n’avait pas de légions de restaurants bien-aimés qui allaient fermer à chaque décennie parce que tout est en quelque sorte lié aux combustibles fossiles, même dans les plus grandes villes comme Lafayette ? 


Nous ne pouvons tout simplement plus continuer comme nous le faisions. On n’a pas de choix ; la preuve est là. Nous sommes obligés d’agir. L’économie est importante, mais elle n’est pas tout, et l’extraction du gaz et du pétrole nuisent à d’autres aspects de notre économie, comme la pêche et le tourisme. (Si je vis jusqu’à cent ans, je ne pardonnerai jamais BP pour la catastrophe de 2010, pour laquelle je crois que les chefs d’entreprise n’ont jamais été suffisamment punis.) Et il ne faut pas que ceci soit une question de politique ; en Autriche, le centre-droit vient de former une coalition majoritaire avec les verts. En Suisse il existe un parti centriste « vert'libéral [sic.] » qui tente d’intégrer l’écologie politique avec les principes du libre marché. On peut (et on devrait, je crois) suivre leur exemple. 


Combien d’Anglo-Louisianais disent « I wish my (grand-)parents had taught me French » ? Combien déplorent que leurs ancêtres aient lâché la patate ? Nous croyons-nous supérieurs à eux, nous qui ne faisons rien pour résoudre un problème aussi sinon plus important ? Et que diront nos descendants à leur tour ? 


Bien sûr, personne ne peut éviter une certaine hypocrisie, y compris moi-même. J’étudie en Angleterre ; j’ai pris un avion pour y aller. De plus, j’aimerais rendre visite à mes amis en Belgique et en Autriche. Je ne mange que rarement de la viande (et jamais du bœuf), mais je ne suis pas végétalien non plus, et je n’ai aucune intention de le devenir parce que j’aime les fruits de mer. Suis-je coupable ? Certainement je ne suis pas non-coupable. Mais je peux me regarder dans le miroir et me dire : « On a un problème, et tu peux faire plus. » Bref, je reconnais le problème et je tente de modifier mes actions. J’essaye de recycler et de ne pas utiliser du plastique. Je n’achète pas de choses dont je n’ai aucun besoin. Je prends le transport en commun lorsque possible. (Malheureusement ce dernier geste est difficile à faire aux États-Unis et surtout en Louisiane.)


Il ne faut pas devenir un saint pour faire une différence. On peut toujours manger des hamburgers et voyager hors du pays et acheter de nouveaux vêtements. C’est permissible d’échouer, surtout dans un milieu comme la Louisiane où il est parfois difficile de ne pas échouer. La chose importante, c’est de reconnaître les effets de nos actions et d’essayer de les amoindrir, si même un petit peu. On ne peut pas (et ne doit pas) condamner les gens pour avoir essayé et échoué. 


Mais faire l’autruche résultera en des changements comme la Louisiane n’en a jamais vus auparavant. On perdra non seulement notre langue et culture mais aussi la Louisiane elle-même, et la faute sera la nôtre. 


Isle à Jean Charles, paroisse Terrebonne

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